Venredi 25 mars 2022
« A TABLE… DE LOUIS XIV
AU SIECLE DES LUMIERES »
Conférence Fabrice Conan, historien de l’art
COMPTE RENDU
-----Gravures ou tableaux, parfois méconnus, tour à tour orientent ou illustrent le propos très informé et fort
savoureux, dont F. Conan nous régale avec l’aisance qu’on lui connaît. On mange, bien sûr, selon son rang, et,
aux XVIIe et XVIIIe s., dans les grandes maisons, on a les moyens de se soucier (déjà…) de retrouver le goût
originel des produits. Eh bien, passons à table !
-----La glacière, signe de prestige, et les rafraîchissoirs, tels qu’ils figurent dans le tableau de F. de Troy,
permettent de servir les vins, même les rouges, très froids, et ils sont âpres, lourds, toujours coupés d’eau. Pas de
pain, qui contient trop d’impuretés. On préfère les pâtes longues, proches de nos lasagnes, aux minces vermisseaux. Les lentilles sont appréciées (elles passent par ailleurs pour soigner rougeole et maladies éruptives),
comme les artichauts que peint Chardin, ou le topinambour. D’une manière générale, l’imaginaire culinaire, selon
la symbolique du haut et du bas, de l’aérien et du souterrain, valorise ce qui croît au-dessus du sol, et les volatiles
plus que le bétail. Le haricot, arrivé du Mexique, est largement consommé. Toute nouveauté devant être goûtée
dans sa véritable saveur, on ajoute moins d’épices que, du reste, leur long transport a éventées. Les pêches, les
figues, les melons que l’on voit près du loup mort sur la toile d’Oudry (1721) sont dégustés avec du sel au début
du repas. Le petit pois est la folie du XVIIe s. : on en mange avec frénésie. En revanche, les champignons, par
leur nature comme par les lieux où ils poussent, inspirent une méfiance qui ne s’effacera qu’au XVIIIe s. : mieux
connus alors, on ira les cueillir dans le Bois de Boulogne. C’est le médecin Charles de l’Ecluse qui découvre à
Vienne la pomme de terre, mais, on le sait, il faut attendre Parmentier pour que sa culture se répande en France
comme végétal de remplacement durant les famines des années 1780. Mets, viandes et fruits sont présentés en
pyramide, usage dont notre pièce montée est un vestige. Au dessert, on penche pour les fruits et les confitures.
La tarte est à peu près la seule pâtisserie, tant la combustion, pour la cuisson, revient cher. A partir de 1660
surtout, des ouvrages paraissent qui détaillent menus, plans de table, accords, bonnes manières, jusqu’à la façon
de tenir son verre, tous les raffinements de la table à la française : « l’art de bien traiter » prend ainsi une
dimension esthétique. Comme le poisson est onéreux et rassasie moins que la viande, les invitations sont plus
rares en période de maigre... On dédaigne le saumon, vulgaire, au profit du maquereau ; carpes, tanches et
brochets sont davantage prisés, associés à une farce ou à du lard. La tortue de mer disparaît des tables au XVIIe
s. Les œufs sont pochés ou préparés « à la braise », c’est-à-dire en omelette. On barde la volaille de lard pour que
sa chair reste blanche ; on cuisine les abats en abondance ; la viande est cuite dans un bouillon avant d’être rôtie.
Quant au gibier, l’aristocrate qui le chasse ne le mange guère et le laisse au service. Ce qui n’a pas été consommé,
le traiteur le revend en saupiquets, salmigondis, civets et mirotons. Lait et beurre triomphent au XVIIe s., ainsi
que les fromages, surtout les pâtes dures, comme le parmesan. La faisselle est appréciée salée, au terme du repas.
Venu d’Amérique, le chocolat entre en France, à Bayonne, en 1609 ; on le savoure épais et très fort, avant que la
vanille remplace les épices. Le café, qui est arrivé,lui, par Venise, est bu couramment avec du lait ; le premier« café » ouvre à Paris en 1672. Enfin, le thé transite par l’Angleterre ou le Portugal. L’eau, fort polluée, doit être
bouillie, ou, de source, être acheminée de loin. Passons sur la cocotte-minute expérimentale de D. Papin (1687),
et saluons l’apparition, au milieu du XVIIIe s., du restaurant. Plus tard, lors de la Révolution, les cuisiniers des
grandes maisons qui se trouvent licenciés ouvrent leurs propres établissements – Paris n’en comptera pas moins
de 3000 sous la… Restauration. Et F. Conan achève son propos par la lecture d’un menu d’époque dont la
profusion se décline en huit services !
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1. - Le déjeuner d’huîtres – François de Troy, 1735 – Musée Condé, Chantilly – Photo Harry Bréjat RMN – domaine public via Wikimédia Commons .
2. - Le mangeur de haricots – Annibale Carracci, 1584 – Coll. Palais Colonna, d’après un livre d’art. Domaine public, via Wikimédia Commons.
3. - Le loup mort - Jean-Baptiste Oudry,1721- Wallace Collection, Londres – Web Gallery of Art – Domaine public via Wikimédia Commons.
4. - Nature morte de fruits dans un panier – Frans Snyders, C. 1630 – Detroit Institut of Arts, USA – Domaine public, via Wikiart.
5. - Portrait de Charles de L’Ecluse – attribué à Jacob de Monte, 1585 – Institut Scaliger, université Hoogleraren de Leyde, Pays-Bas.
6. - Nature morte avec ustensiles de cuisine - Chardin, 1728 – Norton Simon museum, Californie –Domaine public via Wikimédia Commons.
7. - La tasse de chocolat (famille du duc de Penthièvre) – Jean Baptiste Charpentier, 1768 – Coll. Château de Versailles. Source Européana – Domaine public via Wikimedia Commons